Portrait of Tracy Slaney, a middle-aged woman with blonde wavy hair

Je suis devenue aidante en 2014, au moment où mon père a reçu un diagnostic de cancer très rare et agressif. Il est décédé à peine deux mois plus tard. Le même mois, ma mère a reçu un diagnostic de démence précoce. Elle est décédée en 2019, le lendemain de Noël. Six semaines plus tard, c’était au tour de mon conjoint de recevoir un diagnostic de cancer colorectal de stade quatre.

Si je pouvais revenir en arrière et me parler à moi-même lorsque ma mère a reçu son diagnostic de démence, je me dirais : « Va chercher des ressources. Va chercher de l’aide, une thérapie, un exutoire ». Avec ma mère, j’ai fait des recherches sur la démence, mais je ne suis pas sortie de cet univers pour essayer de trouver quelque chose qui m’aurait procuré de la joie. J’ai fait la même chose lorsque mon conjoint a eu son cancer. Tout tournait autour de lui, de la maladie et de la façon dont nous allions y faire face.

Je continuais à jouer mon rôle d’aidante et de mère, mais j’étais déprimée, anxieuse et dépassée par les événements. J’étais perdue.

Il y a un an, j’ai entamé une thérapie pour aller au fond des choses, ce qui m’a permis de franchir un cap et de commencer à me retrouver. Lentement, j’ai commencé à me dire : « Je dois me retrouver quelque part là-dedans. Je suis toujours là. Je suis enterrée sous un tas de décombres, d’expériences de vie difficiles et de déchets, mais je suis là. » Et j’ai rampé pour m’en extirper.

Certaines personnes diraient que la défense des intérêts n’est pas le moyen idéal de s’accorder du temps pour soi, mais c’est certainement le cas pour moi, parce que cela me procure un peu de satisfaction et de la joie. Je veux que quelqu’un, quelque part, se dise que « si elle peut le faire, je peux le faire ». Je veux simplement être cette personne pour une autre.

Cela faisait longtemps que je consultais Cancer colorectal Canada pour trouver des ressources pour mon conjoint, mais jamais en lien avec la défense des intérêts. Je me suis donc renseignée et j’ai réalisé que Terre-Neuve avait l’un des taux de cancer colorectal les plus élevés au Canada, mais que nous n’avions pas d’initiative annuelle de collecte de fonds pour sensibiliser la population au cancer colorectal.

Je me suis lancée corps et âme dans l’aventure et j’ai décidé de faire trois marches pour récolter des fonds. J’ai marché dans ma ville natale, où nous vivons maintenant, et avec mes collègues, et nous avons recueilli 10 000 dollars. Notre équipe s’est classée 15e au Canada à notre première année.

Il ne s’agissait pas seulement de recueillir des fonds. J’aurais aimé que quelqu’un nous parle de tous ces petits symptômes que nous considérions comme des signes de vieillesse ou comme quelque chose que nous avions mangé. Si nous l’avions su, mon époux n’aurait probablement pas reçu un diagnostic de cancer colorectal au stade quatre.

Ce que j’aimerais voir dans une Stratégie nationale sur la prestation de soins, c’est la reconnaissance du travail d’aidant que j’accomplis. Je ne veux pas nécessairement que quelqu’un vienne chez moi pour jouer mon rôle. Ce n’est pas ce que je recherche. Est-ce que je ferais tout ce que je fais actuellement pour rien du tout ? Sans aucune hésitation. Mais est-ce que je pense que c’est juste ? Non.

En découvrant le CCEA, j’ai eu l’impression de nager dans le sens du courant au lieu de nager à contre-courant. J’ai eu l’impression que si nous nous unissions tous, quelqu’un nous remarquerait. Nous (les aidants) allons à tous les rendez-vous et personne ne nous dit jamais : « Alors, comment allez-vous ? Comment va la personne qui tient le fort ? Comment se porte-t-elle ? »

 Je sais qu’il y a beaucoup d’aidants. S’ils sont comme moi, ils pensent qu’ils peuvent tout faire parce que c’est ce que nous sommes censés faire, être capables de tout gérer par nous-mêmes.

Aujourd’hui, je suis un livre ouvert. Je ne cache rien, parce que cacher des choses ne m’a menée nulle part. Prétendre que tout allait bien ne m’a menée nulle part. Prétendre que je pouvais affronter le monde ne m’a menée nulle part, si ce n’est dans un trou de misérabilisme.

Lorsque le cancer de mon mari a commencé, nos enfants avaient 9 et 16 ans et on nous a dit qu’il ne nous restait que 6 à 9 mois de vie ensemble. Ils ont aujourd’hui 14 et 21 ans et cela fait quatre ans et demi. Le cancer n’a pas disparu, mais nous avons appris à vivre avec.

Certains jours sont plus difficiles que d’autres. Il m’arrive encore de me sentir dépassée, anxieuse, ou triste, mais ces sentiments ne m’étouffent plus. Je ne les ressens plus comme une chape de plomb qui me recouvre. J’ai sorti la tête et j’ai regardé autour de moi. J’étouffais là-dessous, toute seule, alors petit à petit, je suis remontée à la surface et j’ai jeté un coup d’œil autour de moi. Et maintenant, j’en suis complètement sortie.